Auguste Bonheur, 2015 Anne Mercedes

Anne Mercedes. Auguste bonheur : kit de survie en cas de sécheresse prolongée.
2015, 55 x 40 x 35 cm
Ici exposé à la bibliothèque Le Fort, Mons en Baroeul, France.

Le projet "Les Tableaux fantômes"

Une idée de Luc Hossepied, directeur de La Plus Petite Galerie du Monde (OU PRESQUE)

"Mars 1918: les obus anglais pleuvent sur Bailleul. La ville, située à l'arrière du front d'Ypres, tout juste prise par les Allemands, est anéantie.
Parmi les gravats, ceux du musée Benôit De-Puydt. Dès 1919, dans la ville en reconstruction, le musée reconstitue lentement ses collections. Dans les années 1990, Laurent Guillot, conservateur de 1989 à 2000, retrouve des carnets de son confrère, Edouard Swynghedauw, conservateur jusqu'en 1912 ; il a méticuleusement décrit les 7500 tableaux de "son" musée. En 2013, le musée présente 31 tableaux-fantômes du leg Hans dans une salle du premier étage.

Les oeuvres de Pharaon Dewinter, Fantin-Latour et autres ne sont plus que quelques lignes poétiques présentées dans le format de la toile disparue.
Nostalgie ! De 2014 à 2018, proposition est faite à des artistes d'aujourd'hui de réinterpréter ces tableaux-fantômes à partir de la description d'Edouard Swynghedauw.
Renaissance !"     Luc Hossepied.

Mon installation Auguste bonheur...

.. est une réponse à l'oeuvre perdue Les Petits Marins, d'Auguste Bonheur (1824 - 1884) :

Huile sur toile h. 465 mm, l. 384 mm, Cadre doré ovale à l’intérieur.

"Dans une prairie émaillée de fleurs, un groupe d’arbres situés à droite portent ombre sur une flaque d’eau dans laquelle quatre enfants font voguer un petit navire à voile et à pavillon rouge. L’un des enfants, un petit garçon, est à genoux ; la chemise dont il est vêtu tout simplement laisse voir à nu ses jambes et ses pieds que le soleil éclaire. Il porte toute son attention sur le petit esquif. Au delà de la flaque un petit garçon en chemise et une fillette en jupon rouge sont couchés l’un à côté de l’autre en pleine lumière et, derrière eux, un petit garçon vêtu moins sommairement se tient debout, les mains dans les poches de son pantalon. Comme les trois autres, il semble s’intéresser vivement à ce que l’embarcation ne chavire pas. Le dessus de son corps est dans l’ombre et se détache sur un ciel bleu où voyagent de petits nuages gris. Le second plan est en pleine lumière, on y voit : un champ doré par le soleil et, à gauche, deux chaumières se détachant sur un lisière de forêt qui s’étend à droite devant une colline éloignée. Signé à droite en rouge : Ate. Bonheur". Description par Edouard Swynghedauw.

Parmi les 36 tableaux fantômes disparus sélectionnés par Luc Hossepied, l'un de ceux dont la description provoque en moi une vision est celui de ces enfants jouant avec un petit bateau dans une flaque d'eau. Maintenant que je le vois mentalement, en quelque sorte il me manque, il me fait défaut, j'aurais aimé le voir dans l'écrin du musée de Bailleul, près de l'anonyme Christ au Mont des oliviers du XV°, des petites sculptures en bois du Moyen âge, des poissons en céramique et du coffret aux scènes de chasse en émail.
Dans la description d'Edouard Swynghedauw, je suis sensible à l'évocation du bonheur obtenu à partir de rien : la flaque d'eau, qui a été pourvue par la pluie, la coprésence des enfants des deux sexes dont le désir est perceptible, la promesse des possibles dont est porteur l'esquif, qu'ils ont sans doute fabriqué eux-mêmes avec des bouts de ceci et de cela. Pouvoir se déplacer, pouvoir partir ailleurs, ne pas être assignée à une place et être à même de créer les conditions de nouveaux possibles en se débrouillant avec ce que la situation fournit a toujours constitué à mes yeux l'essence de la liberté.
J'ai initialement dessiné cette scène idyllique telle qu'elle nous est décrite, le gamin les mains dans les poches, les jeux de lumière, les voiles rouges, mais en fin de compte ce qui doit en rester aujourd'hui que l'eau manque déjà en tant d'endroits ce sont les voiles, la possibilité du mouvement grâce à l'eau, au vent et à l'ingéniosité humaine, la promesse de pouvoir partir, de savoir jouir de ce qui nous environne en le bricolant. C'est pourquoi j'ai conçu ce kit à partir d'objets pour la plupart trouvés ou conservés de travaux antérieurs. Fermé, il a la taille du tableau originel. Tout semble perdu, vous avez un coup de blues, vous l'ouvrez et vous vous rappelez que vous pouvez partir.       Anne Mercedes, juillet 2015.